La Tunisie au coeur de la coopération sino-méditerranéenne

sahbi-basli-ban

Médecin de son état et grand commis de l’Etat, qui a loué ses services à l’administration centrale (directeur des affaires politiques au ministère de l’Intérieur) et régionale (gouverneur à Médenine puis à Sfax), fin diplomate qui a représenté la Tunisie à New Delhi, Madrid et Pékin, politicien qui a contribué au remodelage du paysage politique au lendemain de la révolution de janvier 2011, à travers la création du parti Al-Moustaqbal (Avenir), Dr Mohamed Sahbi Basli met les acquis de sa carrière professionnelle au service de son pays. 

Nous l’avons rencontré dans les bureaux du Conseil de coopération tuniso-chinois (CCTC), qu’il a créée il y a un an et demi, dans le but de donner un nouvel élan à la coopération entre la Tunisie et la Chine dans un contexte géostratégique régional et mondial très confus et complexe, et qui augure d’importants changements.

Désigné récemment président de comité méditerranéen de l’Organisation internationale de la coopération culturelle et économique « la Route de la Soie» (Sico), Dr Basli nous entretient ci-dessous de la réussite de la Chine sur la scène économique internationale, de son poids grandissant au cours des deux dernières décennies, de son implication dans le continent africain, de la coopération arabo-chinoise et sino-méditerranéenne.

«J’ai été un acteur dynamique dans la stratégie chinoise de promotion des investissements dans le monde en général et dans le monde arabe en particulier», déclare Dr Basli, qui a participé au Forum Chine-Afrique et au Forum Chine-Monde arabe qui ont eu lieu en 2006, qui visaient à consolider la coopération chinoise avec ces deux espaces, et dont les résultats n’ont pas été, selon lui, concluants pour diverses raisons.

La première raison est propre à la Chine et aux Chinois, qui cherchent à développer une stratégie gagnant-gagnant, mais aiment travailler en vase clos, en ayant leur propre main d’œuvre; ce qui a entravé la pénétration de la Chine, parfois considérée comme un pays prédateur qui exploite les richesses des autres pays sans réelle contrepartie, explique Dr Basli.

La 2e raison se rapporte à la position des Etats-Unis et de l’Europe, qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer l’avancée de la Chine dans le continent africain.

La 3e raison concerne les difficultés rencontrées par la Chine dans les projets interrégionaux, à cause des relations souvent compliquées entre les pays voisins.

«Cet exemple de coopération sud-sud, qui était noble au départ, n’a finalement pas été bénéfique pour l’image de marque de la Chine, qui en est sortie quelque peu écornée», explique le président du CCTC, qui estime que le seul pays maghrébin a avoir su développer une réelle coopération avec la Chine est l’Algérie, tout en rappelant que l’ancien président Ben Ali était très intéressé par le développement de la coopération tuniso-chinoise, mais son gouvernement n’a pas montré le même intérêt.

Kapitalis : Comment a-t-on, alors, changé d’optique ?

Mohamed Sahbi Basli: Devant un tel constat d’échec, la Chine, qui veut devenir une locomotive de l’économie mondiale, a dû quitter des pays où elle a investi des dizaines de milliards de dollars et abordé le problème de l’investissement étranger, dont elle a fortement besoin, d’une autre manière, en revenant à la symbolique historique de la route de la soie qui permit, au moyen-âge, à la Chine et au monde arabo-musulman, d’échanger leurs cultures, savoirs et savoir-faire.

Il a fallu revenir à cette symbolique historique et culturelle pour asseoir les bases d’une meilleure compréhension de la culture d’un pays trop refermé sur lui-même pendant des siècles. Les Chinois ont également compris qu’ils doivent diffuser eux-mêmes leur culture, notamment dans le monde des affaires, tout en veillant à opérer selon des normes qui leur sont propres.

Cette nouvelle approche a-t-elle eu l’écho souhaité auprès des partenaires de la Chine ?

Tout le monde s’est mis à courtiser la Chine, à commencer par les Américains et les Européens, qui voulaient aller en Afrique en compagnie de la Chine, qui a toujours repoussé l’idée de manière systématique.

Ayant eu vent de l’activité du CCTC et du rôle que j’ai joué dans le dialogue sino-arabe et sino-africain, le ministre chinois des Affaires étrangères m’a invité à une séance de travail pour me demander s’il y a lieu de mettre en application cette nouvelle approche et de faire impliquer les organisations financières internationales, ainsi que l’Europe, qui connait bien le continent africain.

Ma réponse était de ne pas commettre cette erreur, d’aller directement au dialogue Sud-Sud en Afrique et de ne pas limiter la route de la soie au monde arabo-musulman. L’élargissement vise à toucher tout l’espace méditerranéen, sachant que pour la Chine, l’espace vital demeure son environnement asiatique, avec un intérêt particulier pour ses partenaires du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Afrique du sud), dont l’importance dépasse celle du G8.

Six mois après, j’ai été convoqué à un entretien avec le président du Conseil économique chinois pour envisager ensemble le moyen permettant à la Chine, qui est à la croisée des chemins, de maintenir le taux de croissance à son rythme actuel de 6 à 7 %, malgré les difficultés économiques apparues à l’intérieur.

L’idée retenue est de donner un autre contenu à la route de la soie et de développer la dimension méditerranéenne sur trois axes : Europe, Moyen Orient et Afrique.

Et quelle est la place de la Tunisie dans toute cette géopolitique?

La Tunisie demeure au cœur de la Méditerranée. Elle est le berceau de toutes les civilisations ayant marqué de leurs empreintes cet espace stratégique et vital du globe terrestre. On peut donc se déployer dans l’espace méditerranéen à partir de ce pays qui peut à la diffusion de la culture chinoise.

Les Européens ont-ils approuvé cette approche ?

Absolument. J’ai eu, pendant 6 mois, une série de contacts avec nos amis en Espagne, en France, en Italie, en Turquie et même au Maroc et en Algérie. Je n’ai recueilli que des approbations et le ferme engagement à entourer cette stratégie de toutes les conditions de réussite.

Je dois signaler, à ce propos, que la Chine doit avoir besoin de relais et d’interfaces dans les pays européens pour véhiculer des messages qui privilégient les dimensions humaine et culturelle et qui visent à assurer les objectifs suivants : un networking chinois pour l’investissement chinois, le développement des relations culturelles entre la Chine et les pays méditerranéens, l’enseignement de la langue chinoise dans ces pays et la promotion des échanges touristiques.

La Tunisie et les Tunisiens doivent savoir saisir cette opportunité et être à la hauteur des attentes du touriste chinois qui, après avoir découvert l’Europe et l’Amérique, s’oriente, depuis 2009, vers l’Afrique et le monde arabe.

On doit donner un nouveau souffle au bureau de l’Office national du tourisme (ONTT) ouvert à Pékin depuis 10 ans et chercher un nouveau produit susceptible de jumeler la Tunisie avec un pays africain ou arabe pour créer une nouvelle dynamique touristique chinoise dans notre région, sachant que le touriste chinois cherche à dépenser dans l’acquisition des produits typiques au pays visité, à découvrir les richesses culturelles et archéologiques, en plus du désert et de la plage.

Bref, la Tunisie est en mesure de s’intégrer dans une dynamique touristique arabe, nord-africaine et africaine et elle doit résoudre le problème du visa et, s’il le faut, l’éliminer totalement.

On a constaté, ces derniers temps, que la Chine s’ouvre de plus en plus sur les Ong. Cela ne vous surprend-t-il pas?

La Chine est un pays qui ne cesse d’étonner le monde. C’est un pays où le PIB était largement inférieur au nôtre il y a 10 ans. Aujourd’hui, il 3 fois supérieur à celui de la Tunisie.

Ce pays est gouverné par un parti unique (Parti communiste chinois) qui est en avance par rapport au gouvernement. Son président est en même temps le secrétaire général du parti qui a jugé bon d’ouvrir la porte à la collaboration avec des Ong. C’est ce courant d’ouverture qui a donné naissance à la Sico, une Ong présidée par un député et qui sera reconnue prochainement aux Nations Unies

La semaine dernière, j’étais l’invité d’honneur de cette organisation qui m’a désigné président de la zone MED. Un honneur qui dépasse ma personne pour toucher toute la Tunisie et tous les Tunisiens. J’espère être à la hauteur de cette confiance et faire de mon mieux pour raffermir les liens entre nos deux pays et servir les intérêts de la Tunisie à travers cette approche sino-méditerranéenne.

Quels sont vos projets immédiats ?

On m’a chargé de l’organisation du Forum Chine-Med, qui aura lieu en Tunisie, en septembre 2017.

Je m’attelle à assurer la meilleure organisation possible à cette manifestation, la première du genre que la Chine entreprend dans l’espace méditerranéen.

Le gouvernement tunisien soutient-il cette initiative ?

Nous comptons essentiellement sur nos propres moyens et la porte reste ouverte à toutes les bonnes volontés pour nous soutenir ou nous appuyer. Notre objectif est de permettre à la Tunisie de défendre sa dimension méditerranéenne, à l’instar du Maroc qui a réussi à se positionner en Afrique avec les Chinois. Le Maroc accueillera, en 2017, le forum Chine-Afrique

Comment expliquez-vous le secret de cette réussite chinoise qui a changé les équilibres économiques du monde?
Le secret réside dans la réplique d’un haut responsable chinois : «Notre pays est agnostique, il n’a pas de religion, pas de tabou; aucune entrave au développement de quelque religion qu’elle soit musulmane ou chrétienne».

Et c’est aussi le travail, le travail, le travail…

Par Wajdi Msaed - Source de l'article Kapitalis

Aucun commentaire: