« Paris-Alger, c’est aussi important que Paris-Berlin ! » (Jean-Louis Levet, 1/3)

Économiste, essayiste, Haut Responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne, Jean-Louis Levet œuvre, depuis mai 2013, au rapprochement industriel entre la France et l'Algérie. 

Sa conviction est simple : il faut passer d'un mode de relation fondé sur le commerce à un mode de relation privilégiant la coopération et la coproduction. 

Dans ce premier volet (1/3) du long entretien qu'il a accordé à La Tribune, il détaille sa méthode d'action.

Jean-Louis Levet, Haut Responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne.

La Tribune - Quels sont les arguments en faveur d'une coopération forte entre la France et l'Algérie, telle que vous la préconisez avec une grande conviction ?

Jean-Louis Levet - Coopérer, c'est vouloir travailler ensemble sur le long terme. On coopère parce qu'on a besoin l'un de l'autre, tant il est vrai qu'une partie de l'avenir de la France passe par l'Algérie et qu'une partie de l'avenir de l'Algérie passe par la France.

On voit bien aussi que dans la mondialisation économique où l'incertitude ne cesse de croître, la concurrence entre les grandes firmes mais aussi entre les États est de plus en plus rude. Cette concurrence, à la fois sur le prix et sur la qualité croissante, y compris des nouveaux pays industrialisés, nécessite de nouvelles formes de relations. C'est pour cela que l'axe stratégique sur lequel j'ai construit ma mission, depuis mai 2013, consiste à dire : nous devons accélérer la transition, entre la France et l'Algérie, d'un mode de relations fondé sur le commerce à un mode de relations fondé sur les partenariats déterminant le développement économique et social. Même si, bien sûr, l'un n'exclut pas l'autre. C'est d'ailleurs la philosophie même de la « Déclaration de Coopération et d'Amitié » signée en décembre 2012 à Alger par les deux Présidents, François Hollande et Abdelaziz Bouteflika avec beaucoup de lucidité et d'engagement réciproque, dans laquelle s'inscrit ma mission.

Aussi, quand vous observez aujourd'hui l'échiquier mondial des États-nations, vous n'avez pas d'équivalent, sur un plan économique et stratégique, au duo France-Algérie. En particulier parce qu'il y a une proximité géographique, linguistique, culturelle, et plusieurs millions de personnes qui ont de la famille de chaque côté de la Méditerranée.

D'une façon plus globale, sur le plan stratégique, nous pouvons dire que le duo Paris-Alger est au cœur de l'interface Europe-Afrique. L'Algérie est au cœur de l'Afrique du Nord, avec des pays très importants comme le Maroc et la Tunisie. Pour un pays comme la France, Paris-Alger doit jouer un rôle aussi structurant que Paris-Berlin.

La France et l'Allemagne, comme nous le savons, jouent un rôle déterminant, depuis plusieurs décennies dans la construction de l'Europe et pour son avenir. Avec l'Algérie, c'est le chantier de la Méditerranée occidentale qu'il s'agit de faire progresser en termes de prospérité et de sécurité, les deux étant bien sûr très liés.

Comment appréhendez-vous votre mission ?

Les économistes des pays d'Afrique du Nord nous disent que cette zone doit créer 30 millions d'emplois dans les vingt prochaines années. Cela signifie qu'il leur faudra développer des dynamiques de croissance extrêmement fortes, endogènes. Mais la croissance endogène exige d'avoir une économie diversifiée, car moins vulnérable aux secousses de l'économie mondiale, source d'emplois et de métiers très diversifiés en termes de qualification, et répondant mieux aux besoins sociaux de la population, d'attirer des investissements directs étrangers, de développer l'éducation, la formation, etc.

Sur la base de ce constat, la démarche de ma mission consiste à partir à la rencontre de mes interlocuteurs algériens, de leurs attentes, de leurs besoins, de leurs projets. Nous avons encore trop tendance à vouloir projeter nos PMI à l'international en partant de leurs savoir-faire et produits ; il convient d'abord de partir des besoins, des opportunités, des perspectives qu'offre l'Algérie, et donc d'une réelle connaissance du tissu productif local, de l'environnement juridique, financier et fiscal, pour ensuite, dans une seconde étape, mobiliser les acteurs économiques français.

C'est tout le sens de la démarche que je privilégie dans le cadre de ma mission, en identifiant et en dialoguant sur l'ensemble du territoire algérien très divers, avec des chefs d'entreprise, des universitaires, des responsables de clubs d'entreprise, tels que le Forum des Chefs d'Entreprise (FCE) et le Club des Entrepreneurs et industriels de la Mitidja (CEIMI) avec lesquels nous avons élaboré des plans d'action autour de leurs priorités, des walis (préfets), des experts, etc, en relation permanente avec mes interlocuteurs publics, mon homologue algérien Bachir Dehimi, et bien sûr avec les équipes de notre ambassade à Alger, toujours très engagées, ainsi qu'avec Business France et la Chambre de commerce et d'Industrie algéro-française, la CCIAF.

Quelles sont les actions prioritaires à mettre en œuvre ?

À partir de mes nombreuses rencontres "de terrain", j'ai proposé à mes interlocuteurs, dès l'été 2013, trois grandes priorités, à l'interface des besoins de l'économie algérienne, des objectifs gouvernementaux et des atouts de la France.

Premièrement, élever la qualité de la formation professionnelle en Algérie, en lien avec les objectifs de développement et de diversification économique du pays. La formation professionnelle est la clé de l'emploi et de l'insertion des personnes sur le marché du travail. La formation est un levier de coopération extrêmement structurant. L'offre française est dense et expérimentée, dans les domaines concernés : formation des jeunes, des cadres intermédiaires, des techniciens, etc.

Deuxième priorité : il faut aussi développer les infrastructures technologiques et techniques d'appui aux entreprises, en favorisant les PME. Dans un pays où l'on estime que de 30 % à 40% du PIB relève de l'économie informelle, il est vital d'élever les entreprises algériennes au niveau des normes internationales. Pour répondre aux exigences croissantes des consommateurs algériens, et aussi afin de pouvoir exporter, demain, en Afrique notamment, Français et Algériens ensemble. Il s'agit ainsi de la normalisation, mais aussi de la métrologie sans laquelle il ne peut y avoir d'efficacité industrielle, de propriété intellectuelle pour défendre et promouvoir les marques algériennes existantes et demain les marques franco-algériennes, la démarche qualité.

Troisième priorité, ce sont les partenariats de co-production : cela va de l'assistance technique à des projets algériens, jusqu'à des créations de coentreprises pour coproduire en Algérie, pour répondre aux besoins du pays puis d'exporter en ciblant en particulier l'Afrique subsaharienne. Ici, le choix du partenaire pour l'entreprise française est déterminant. Il y faut consacrer du temps et construire une relation de confiance.

En quelle manière se déploie la coopération institutionnelle ?

Ces priorités ont été actées dès décembre 2013 lors du premier Comité intergouvernemental de Haut niveau algéro-français (CIHN), co-présidé par les deux premiers ministres, Jean-Marc Ayrault et Abdelamek Sellal, et précédé en général d'un Comité mixte économique franco-algérien (COMEFA), qui permet de faire un point sur les actions engagées et les perspectives concrètes de projets.

Pour la mise en œuvre de cette stratégie Paris-Alger, que je vois comme un axe structurant de la Méditerranée occidentale, nous avons établi trois priorités, trois leviers qui doivent nous permettre d'accélérer la construction d'un modèle relationnel fort et de coopération tels que nous venons de les présenter.

Coopération, car comme je l'ai déjà dit, nous avons besoin de travailler sur le long terme, parce que la concurrence mondiale aujourd'hui nous pousse à être présent sur les fondamentaux du développement d'un pays - l'Algérie est demandeur d'éducation, de formation, d'innovation, de technologie... C'est cela qui nous permet, à nous Français, de nous différencier par rapport à nos concurrents, notamment asiatiques, mais aussi américains, très intéressés par le marché algérien du numérique et de l'agriculture, par exemple, et enfin, bien sûr, des concurrents chinois - ils ont une vraie stratégie de pénétration du contient africain depuis plusieurs décennies, notamment en bâtissant des infrastructures, grâce à leurs coûts défiant toute concurrence, et leurs produits souvent de piètre qualité, comme le dénoncent de nombreux consommateurs dans ces pays, en particulier en Algérie.

Ensuite, dans le cadre de ces trois priorités, l'objectif de ma mission est de créer des cas d'exemplarité pour les coopérations... tout simplement pour démontrer qu'il est possible de travailler avec l'Algérie, et que c'est gagnant-gagnant pour les deux parties. À ce jour, nous avons initié une trentaine d'accords que nous accompagnons. Notre Ambassade à Alger est très engagée, de même que Business France et notre CCIAF.

Selon quels critères définissez-vous les cas d'exemplarité de cette coopération ?

Pour nous, les cas d'exemplarité doivent répondre à quatre critères : la recherche de l'excellence ; l'inscription du projet dans le long terme ; une illustration de la transition d'un modèle commercial vers un modèle coopératif ; l'existence d'effets induits sur l'environnement économique et social, avec notamment une montée en qualité des sous-traitants locaux, des relations avec l'université, de la création d'emplois des deux côtés de la Méditerranée, tant en France qu'en Algérie. Par exemple, si il y a un opérateur français et un opérateur algérien qui co-investissent en Algérie, cela doit être aussi une chance de création d'emplois en France.

Par Alfred Mignot - Source de l'article La Tribune

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